Seigneur,
Quand tu te décideras de faire ton fameux retour sur terre, qu’il te
plaise, pour ton bien, de ne pas visiter Haïti. Je ne sais pas si dans
quelques années, la situation sera moins grave, mais aujourd’hui si tu
es soucieux de ta vie, vaut mieux éviter ce pays. C’est un pays où les
déchets servent d’ornements. La Grand-Rue de Port-au-Prince est une
sorte d’égouts en béton. Tu ne pourras pas respirer l’odeur de ces eaux
puantes qui y coulent chaque jour. Une armée de mouches – sauvages,
barbares, féroces, tient la rue en otage. La rue est gênée de son état
d’insalubrité. La rue est honteuse ! De grâce seigneur, n’y viens pas !
Si tu chopes un virus en t’y promenant, t’auras pas le temps de remonter
au ciel pour te faire soigner. Il y a urgence à l’urgence de l’Hôpital
de l’Université d’État d’Haïti. Celui qu’on appelle « l’hôpital
général ». Tu mourras en y faisant la queue ! Bien qu’un Dieu ne meure
pas. Mais seigneur, prudence est mère de sureté quand même !
De plus, mon grand frère, toi qui es compatissant, tu seras plongé
dans une angoisse à nulle autre pareille si tu viens en Haïti. Trop de
gens malheureux habiteront chacun de tes coups d’œil. Tu rencontreras
des pauvres sur tous les trottoirs de la capitale. Des gens disent
qu’ils sont fous et ne leur accordent même pas un tout petit peu
d’attention. Comme si les « fous » cessent d’être humains dans leur
« folie ». Ils n’ont plus besoin de manger ni de boire. Tu verras des
policiers bousculer, bastonner de pauvres commerçantes des trottoirs,
sans aucune contrainte morale. Tu ne pourras pas supporter tout ça
seigneur ! N’y viens pas !
Si tu as un problème d’argent, tu devras te rendre à l’une de nos
banques pour recevoir un transfert du ciel. Tu vas probablement passer
beaucoup de temps dans une ligne oh combien trop longue ! Et quand
arrivera ton tour, hum, rassure-toi qu’il y aura problème de signal. Et,
les services sont chers ici Seigneur ! Sans compter, ce grave problème
de sécurité qui ronge la capitale du pays. Beaucoup de gens sont tués à
de multiples coups de projectiles par des bandits armés en quittant nos
banques. Tu comprends, mon Dieu, que tu mettras ta vie en danger en
venant dans ce pays ?
J’ai parcouru de Carrefour à Delmas avec un besoin d’uriner. J’ai eu
la vessie remplie de « pipi » à verser. Mais seigneur, tu sais que je
n’ai trouvé aucun endroit où j’ai pu satisfaire ce besoin
physiologique ! Disons, à part les égouts — ces rigoles de maladies qui
existent à travers toute la capitale. C’est un pays où l’on ne pense pas
aux services sociaux de base. Tout ce qui est d’insolite est bien réel
chez nous, et on y habitue. Nous sommes un peuple qui, finalement, finit
par croire, on dirait, que nous sommes condamnés.
Je sais, oh, Jésus, que tu ne jetteras pas des déchets dans nos rues.
Mais lorsque tu auras à parcourir des kilomètres sans trouver une
poubelle, tu risques quand même d’être souillé par ce vieux désir.
Bizarrement, au Champ de mars, j’ai constaté seigneur, qu’il y a peu de
poubelles. Tu imagines ? Un lieu hautement fréquenté qui n’a pas de
poubelles ! C’est comme dire aux usagers, « se pa nou k’ap vin chanje
peyi a. Lage fatra a atè a ».
Et la vie nocturne ! Elle n’existe pas, je crois. Où est-ce qu’on
peut se rendre la nuit à Port-au-Prince sans courir de grands dangers ?
Tu devras rentrer tôt dans la soirée, surtout toi qui seras diaspora. Et
quand tu rentres, tu vivras un enfer dans le noir. Tu te rendras compte
qu’il n’y a de l’électricité que très tard chaque soir. Pourtant il
fait chaud ici !
Je pourrais te donner beaucoup plus de raisons de ne pas venir en
Haïti, particulièrement à Port-au-Prince. Et d’ailleurs, je ne te parle
même pas de nos politiciens. Ils te pousseront, je t’avoue, à monter ton
propre parti politique. Ils t’enseigneront la colère, la haine, le
dégout… du moins par leurs actes. Oui, je pourrais te dire plus. Mais je
préfère m’arrêter là. Ne jette pas ma lettre pour qu’ils la trouvent et
la lisent. Ils m’appelleront certainement diffamateur, même s’ils
savent que je te dis la vérité. Ils n’aiment pas la vérité. Elle blesse
trop. Je te prie de ne pas oublier mon conseil: ne viens pas en Haïti !
Bien à toi Jésus !